Créer un site internet
Site officiel de Christelle Morize, auteur-éditeur

Extrait

Un petit extrait de Nuits macabres !

 

 

"Si le visage de Jeffrey affichait un air triomphant, celui de Lucas en revanche vira au pâle. L’idée même de passer la nuit dans cet endroit froid et austère ne l’enchantait pas. Dès qu’ils furent seuls, Jeffrey ne perdit pas une seconde et fonça directement vers la porte qui menait aux escaliers. Ils durent unir leur force pour tirer sur l’énorme barre en fer forgé pour l’ouvrir. Comme convenu, Lucas laissa le sac à dos près de la tombe avec le matériel. Ils n’avaient besoin que de la lampe torche.


- Monsieur trouillomètre à zéro fait dans son froc, ricana Jeffrey en éclairant son propre visage.


Il esquissa une grimace, loin d’être amusante à cause de la lueur qui lui donnait des allures de fantôme, et imita grossièrement le grognement d’un animal méconnu aux yeux de son jumeau.


- Je t’insulterai bien mais je me ferai offense, lâcha celui-ci d’un air blasé, allez, on y va vite fait avant que papi Antoine nous laisse là pour la nuit.


Non sans un sourire moqueur, Jeffrey passa le premier et longea un couloir étroit, n’accueillant qu’une personne. Le faisceau lumineux était devenu leur seul guide. Épais et larges, les escaliers en colimaçon apparaissaient au bout du petit tunnel. Avec prudence, ils les descendirent tout en s’agrippant au mur humide. Lucas se repérait au trait de lumière que leur offrait la lampe torche, mais le faisceau devenait faible dans cet endroit d’une opacité effrayante. La pierre craquelait légèrement comme si chaque escalier s’effritait sous leurs pas. Enfin, Jeffrey stoppa devant une petite cavité où la seule issue était une voûte taillée dans les murs épais, juché sur une marche. D’où ils se trouvaient, ils ne pouvaient pas distinguer ce qu’il y avait de l’autre côté. Rien ne filtrait à travers ce néant si ce n’était qu’une brume étrange, émanant du sol.


- C’est quoi ça ? S’inquiéta Lucas, et elles sont où les pièces ?


Il n’y avait pas à tortiller. Jeffrey était quand même le plus aventureux des deux et le moins froussard, se targua celui-ci intérieurement tout en avançant courageusement vers l’étrange vapeur. Il sentait Lucas juste derrière lui, prêt à partir en courant au moindre bruit.


- Antoine nous a dit qu’il pensait être juste en dessous de la nef, se rappela Jeffrey en braquant la torche sur la voûte.


Des polychromies, presque effacées par le temps et l’humidité, apparaissaient tout autour. On pouvait encore discerner les restes d’une fresque ainsi que des lettres gothiques gravées dans les voussures. A n’en pas douter, l’endroit existait bien avant la construction de la cathédrale Saint-Etienne. Peut-être avait-il été construit avec l’ancienne cathédrale romane en 963 par l’évêque Gérard de Toul ?


- Non, c’est Saint Mansuy.


- Saint Mansuy était le premier évêque, rectifia Jeffrey qui avait passé des heures sur le net avant leur arrivée dans la ville, l’évêque Gérard a fait construire le premier édifice.


- Je suis épaté, admis Lucas d’un sourire forcé, et maintenant Indiana Jones, on fait quoi ?


Pour toute réponse, son jumeau leva le pied pour grimper sur la marche et, tandis que son frère se hissait à sa hauteur, il scruta l’autre côté avec le peu de lumière que lui accordait la lampe de poche.


- Tu veux bien me dire comment papi Antoine a pu voir quoique ce soit avec ce brouillard ? Râla Lucas en tâtonnant le mur froid pour se guider.
Sa voix résonna à plusieurs reprises pour finir comme un murmure. Son sang se glaça dans les veines, aussi sûrement que s’il était plongé dans une eau polaire.


- Euh… Traite-moi de trouillard si tu veux, mais je pense qu’on devrait rebrousser chemin, proposa-t-il, embarrassé d’entendre une fois de plus cet écho qui lui donnait la chaire de poule.


- Je savais bien que tu étais un froussard, chuchota Jeffrey en ricanant, regarde ! J’ai trouvé une espèce de flambeau sur le mur. File-moi ton briquet.


Blessé dans son amour propre, sachant pertinemment que son frère le bassinerait pendant longtemps sur son attitude peu courageuse, Lucas fouilla dans la poche de son pantalon et faillit lui balancer l’objet en pleine figure. Mais, sans le faisceau de la lampe de poche qui faisait comme un halo lumineux autour d’eux, le reste demeurait désespérément sombre. En quelques secondes, la flamme du briquet fit crépiter la vieille lampe, laissant s’échapper une odeur insupportable de suif.


- Oh merde, mais ça chlingue, ce truc ! Pesta Lucas qui leva le col de son tee-shirt jusqu’au nez.


- Chochotte ! Railla Jeffrey qui fit flamber la seconde lampe, de l’autre côté de la voûte.


La brume qui régnait en maître depuis leur arrivée se dissipa lentement sous la clarté frétillante des flammes. Accrochées par un étau étrange, les lampes suspendues étaient larges. Un dragon, finement sculpté, encerclait leur base. D’abord intrigué par ce petit détail, Jeffrey leva enfin la tête vers ce qui ressemblait à une grande cavité souterraine. Comme l’avait remarqué Antoine, l’endroit était aussi immense que la nef, les plafonds hauts et voûtés sans les croisées d’ogives. Au centre, à la place de ce qui aurait dû être le sol, trônait une gigantesque étendue d’eau qui, avec les flammes, laissait apparaître d’étranges lueurs chancelantes sur les parois. Celles-ci étaient couvertes de fresques, représentant notamment l’archange Michel dans son armure ailée, terrassant un démon de son épée.
Lucas était ébloui par tant de beauté. Il comprenait maintenant pourquoi Antoine regrettait sa vigueur du jeune homme fringant qu’il avait été pour venir admirer cet endroit secret.


- Regarde ! On dirait une passerelle, remarqua Jeffrey en désignant un chemin de pierre qui cernait les parois de la cavité.


Comme l’avait souligné le vieil homme, les lieux semblaient vétustes, usés par le froid, l’humidité constante et le poids des ans. Le couloir de fortune n’était accessible que par la droite, délimité par une barrière de balustres, sculptées à même la pierre. L’autre côté s’était sûrement effondré depuis des lustres à en juger la mousse verdoyante qui florissait, et le peu qu’il restait du passage avait fini dans l’eau. Seule, une gargouille en forme de chimère, moitié humaine, moitié dragon, émergeait du plafond voûté et semblait être la raison de la présence de toute cette eau. A l’époque où il avait été construit, ce couloir permettait apparemment de faire le tour de la cavité.
Jeffrey se concentra donc sur le passage encore en état et aperçut trois portes arquées, sérieusement délabrées, et séparées de plusieurs mètres. Elles étaient toutes fermées par un loquet en fer gorgé. S’il n’était pas dans les souterrains secrets d’une cathédrale, il aurait pu jurer que l’endroit était un ancien monastère. Sa curiosité primant sur la sagesse, il descendit la grande marche avec une infinie prudence puis posa un pied tâtonnant sur le chemin sous le regard éberlué de son frère.


- Mais tu es malade ! S’exclama celui-ci, tout va s’écrouler.


- Monsieur le pétochard va m’attendre, décréta Jeffrey d’une voix moqueuse, je vais juste voir ce qu’il y a dans ces pièces. Au moins, je n’aurai pas fait tout ça pour rien.


- Je n’ai pas la trouille, se défendit Lucas d’une mine boudeuse, je préfère dire que je suis prudent, ce qui n’est pas ton cas.


Téméraire, audacieux ou tout simplement inconscient, pesta-t-il intérieurement, ne sachant pas s’il devait admirer son frère ou le plaindre. Jeffrey avait pris la lampe de poche pour regarder à l’intérieur des pièces. Son périple jusqu’à la première porte n’avait pas fait bouger la moindre pierre, à son grand soulagement. Il dut tirer de toutes ses forces sur la poignée détérioré, craignant de faire céder ou de briser le fer corrodé. Finalement, le loquet glissa bruyamment. La porte s’ouvrit dans un grincement long et gras, provoquant des résonances terrifiantes dans la cavité. Un froid insidieux s’échappa de l’intérieur de la pièce, plongée dans une obscurité effrayante.
Le jeune aventurier balaya les lieux de son faisceau lumineux, découvrant un endroit poussiéreux, certes, mais impeccablement bien rangé. Une étagère bondée de livres dont il était impossible de connaître la vraie couleur, tant la poussière les recouvrait. Un chandelier posé sur une table épaisse. Au-dessus, trois alcôves dans le mur, contenant des statues dont une de la Vierge Marie.
Jeffrey allait refermer la porte quand il fut attiré par un coffret orné d’acier qui trônait sur une étagère dans la vieille bibliothèque. Il hésita un instant, certain qu’Antoine devait fulminer à l’extérieur, puisque les cinq minutes qu’il leur avait accordé étaient écoulées depuis longtemps. Dicté par une bravoure dont il ne se connaissait pas, il traversa la pièce après avoir vérifié que la porte ne se refermerait pas derrière lui. Il souffla plusieurs fois sur le couvercle, faisant voler une masse épaisse de poussière et scruta longuement le bois riveté où une inscription en latin était visible.


- Tu fais quoi, bon sang ? S’impatienta Lucas, toujours près du porche d’entrée, il fait de plus en plus froid.


Perdu dans sa contemplation, Jeffrey sursauta au son de cette voix familière. Heureusement que son frère ne pouvait pas le voir parce qu’à l’évidence, son teint était devenu livide de peur.


- Tu devrais venir voir ça, finit-il par dire, une fois ses émotions passées, c’est vraiment splendide.


- Euh… non ! Je préfère de loin attendre que sa seigneurie veuille bien sortir ses fesses de cet endroit.


- Je suis peut-être tombé sur un trésor, le nargua Jeffrey qui tenta d’ouvrir le coffret, qu’est-ce que peut bien contenir une boîte scellée avec des lettres en latins ?


Il y eut un court silence, après que leurs voix aient cessés de résonner dans la cavité, puis Lucas reprit d’un ton encore plus angoissé.


- Une lampe vient de s’éteindre… celle qui donne sur le côté effondré. A mon avis, tu devrais rappliquer vite fait. Je ne le sens pas, là !


A contre cœur, Jeffrey cessa toute tentative pour faire céder la serrure de la boîte. Si la seconde lampe venait à s’éteindre, il lui serait difficile de rejoindre Lucas dans cette obscurité et pour se l’avouer à lui-même, il n’avait pas envie de ressembler à une poule mouillée devant son frère. Il passa la main sur les inscriptions, braquant le faisceau lumineux sur les lettres pour tenter de les mémoriser. Lui qui avait fait un peu de latin ne comprenait pas du tout ce qui était écris, mais, au moins, il pouvait articuler correctement les mots.


- Il y a quelque chose dans l’eau, paniqua Lucas.


Jeffrey se serait bien moquer, une fois de plus, devant le manque de courage dont faisait preuve son frère, s’il n’avait pas senti un léger souffle s’engouffrer dans la petite pièce. Il reposa la boîte à sa place et d’un pas rapide, sortit de la pièce, refermant grossièrement la porte derrière lui. Lucas avait raison. Une ombre étrange se déplaçait furtivement sous l’eau. Jeffrey activa le pas sans prêter attention à la précarité des lieux. La brume qui se formait au dessus de la nappe d’eau n’était guère réconfortante. A peine fut-il arrivé à la hauteur de son frère qu’une masse étrange émergea brusquement de l’eau. Sous le regard apeuré des jumeaux, une forme bestiale se dessina dans le brouillard, poussant des cris stridents. Elle se débattait furieusement, cherchant visiblement un moyen de s’échapper mais quelque chose semblait l’en empêcher. Dans un dernier élan, la forme indistincte fonça en direction du porche à une vitesse vertigineuse.
Pétrifiés sur place, les deux jeunes hommes n’étaient plus en mesure de réagir. La peur bloquait chacun de leur mouvement alors que cette chose immonde se ruait vers eux."

 

 

Date de dernière mise à jour : Mar 24 nov 2015

Ajouter un commentaire

Anti-spam